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LES MECS : EVOLUER OU A TERME DISPARAÎTRE

Les Mecs : évoluer ou à terme disparaître
Francis Batifoulier

PENSER L’IDENTITE PRESENTE et à venir des maisons d’enfants à caractère social, c’est à notre sens identifier les enjeux majeurs qui les concernent. Il semble pertinent de définir ces enjeux en termes de chantiers à mettre en ½uvre. C’est la forme qu’a pris le texte cadre de l’association nationale des maisons d’enfants . C’est sur cette charte que j’avais rédigée à la demande du conseil d’administration de l’ANMECS que je prendrai appui pour introduire cet ouvrage ; cette introduction est une opportunité pour opérer une lecture critique de ce texte, pour reformuler le contenu de certains chantiers, éventuellement supprimer ceux qui ne sont plus d’actualité et identifier de nouveaux axes de réflexion à investir.
Le défi est de penser l’actualité et l’avenir des maisons d’enfants à caractère social en identifiant leurs fragilités mais aussi leurs ressources. Du côté du positif, il faut constater que pour affronter les défis auxquels elles sont confrontées, les équipes ne partent pas de rien. Depuis quelques années, les MECS ont procédé à un remaniement profond de leurs pratiques éducatives et des logiques qui les sous-tendent. Elles se sont engagées dans une diversification de leurs prestations, redéfinissant leur métier de base par la déclinaison d’actions qui autrefois ne leur étaient pas dévolues : accueil séquentiel, accompagnement à partir du domicile de l’usager, soutien à la parentalité…
Malgré cette réactivité des Mecs, malgré leur adaptabilité, nombre d’entre elles traversent des périodes plus ou moins difficiles et s’interrogent sur leur identité, notamment à cause de l’hétérogénéité des populations accueillies, de l’augmentation des jeunes présentant des troubles psychiques, des phénomènes de violence, de la difficulté à faire vivre des collectifs harmonieux… Dans ce contexte, il n’est pas facile de donner du sens à un quotidien souvent bouleversé.
Il appartient aux associations et aux professionnels dans le cadre des mutations générées par les politiques publiques mais aussi des changements multiples affectant aussi bien les individus que leur être ensemble, de penser à nouveaux frais le métier de nos établissements et nos modes opératoires. Il s’agit de dessiner les contours d’une refondation pour s’assurer une légitimité.
C’est sur cette base renouvelée que nous pourrons engager avec les élus, les instances de contrôle et de tarification, les prescripteurs, un dialogue étayé et constructif sur les fondements politiques, techniques, cliniques et éthiques de nos interventions.

1. DE QUELQUES CHANTIERS PRIORITAIRES
Nous proposons donc maintenant de recenser quelques-uns des chantiers qui nous semblent indispensables d’ouvrir pour garantir un avenir à des établissements qui se questionnent sur leur utilité sociale.

1.1 Réaffirmer la nécessité de s’adosser à un projet associatif effectif
Il faut bien constater qu’un certain nombre de conseils d’administration connaissent des difficultés de renouvellement et que d’autres peinent à élaborer des projets associatifs honorant pleinement les dimensions politiques et stratégiques.
Le projet associatif par ses dimensions politique, éthique, stratégique doit constituer un socle solide qui participe à ce que la question « qu’est-ce qu’on fait ici ? » demeure agissante à l’heure où l’érosion du sens de l’action se pose avec acuité dans nombre d’institutions.
On ne peut pas sous-estimer la complexité de ce chantier quand sont perceptibles un certain nombre d’indicateurs d’une crise de la citoyenneté. Dans ce contexte incertain, l’attractivité de nos associations est un défi à un moment où le primat de la gestion semble s’imposer, une gestion de plus en plus complexe et de plus en plus encadrée, laissant aux décideurs associatifs des marges de man½uvre et d’initiative limitées ; dans le même temps, la responsabilité des dirigeants exige de la part des administrateurs des compétences accrues, cette responsabilité ne pouvant être pleinement exercée qu’au prix d’une connaissance actualisée des problématiques spécifiques de la protection de l’enfance.
Favoriser et développer l’engagement des associés demandera notamment au management de mettre en place les stratégies adéquates pour que la vie associative constitue un véritable retour sur investissement pour ceux qui s’y engagent. La question de la gouvernance associative est donc bien un chantier prioritaire à un moment où le paysage associatif se recompose à grande vitesse (regroupements, fusions-absorptions…).

1.2 Répondre à l’enjeu de la connaissance
Répondre à cet enjeu, c’est développer des connaissances dans les champs suivants :
• connaissances des caractéristiques des populations accueillies comme base des politiques publiques mais aussi comme matériau mis à disposition des équipes pour un meilleur ajustement des pratiques ;
• connaissances produites par la réalisation d’études longitudinales, alors qu’aujourd’hui nous demeurons insuffisamment informés sur les parcours des usagers et les effets des diverses modalités de prise en charge ;
• connaissances générées par le développement de liens entre chercheurs et praticiens dans un contexte où les articulations sont insuffisantes et produisent peu de travaux propres à améliorer les modalités d’intervention. Il y a, en effet, un déficit d’adossements théoriques dans notre champ d’intervention. Cette difficulté à expliciter les fondements théoriques qui sous-tendent les interventions des professionnels dans le champ de la protection de l’enfance est une réalité plusieurs fois constatée .
Le développement de liens avec la recherche permettrait aux équipes de se doter d’un cadre de pensée qui accompagne le changement, soutient l’action et lui donne sens.

1.3 Penser en termes de dispositif à l’heure de la diversification des services offerts par les Mecs
Les maisons d’enfants sont confrontées à une hétérogénéité plurielle : hétérogénéité de la population accueillie, hétérogénéité des politiques départementales de protection de l’enfance, hétérogénéité des offres de service à l’heure de la diversification préconisée par la réforme de la protection de l’enfance… Cette hétérogénéité est à la fois une force, car elle autorise une certaine créativité et une faiblesse, car elle minore le sentiment d’appartenance à un ensemble présentant une identité forte.
Ce questionnement identitaire est d’autant plus d’actualité que le basculement du c½ur de métier des Mecs est majeur : en effet, qu’y a-t-il de commun entre les orphelinats dont de nombreuses maisons d’enfants sont héritières et les plates-formes de services que tendent à devenir nos établissements sociaux ?
Les Mecs ont, pour tenir compte des exigences légales, des besoins des usagers et des attentes des prescripteurs, diversifié leurs offres de service au-delà de leur c½ur de métier historique organisé autour de l’hébergement continu d’enfants et d’adolescents dans une logique substitutive puis supplétive. Cette évolution était nécessaire, notamment pour prendre en compte les parents, mais elle peut se traduire aujourd’hui par un empilage des habilitations (accueil séquentiel, AEMO renforcée…). Cette diversification présente évidemment un aspect positif puisqu’il acte la capacité des Mecs à répondre à l’évolution des besoins des usagers et de la commande publique, mais il faut également noter qu’elle génère une multiplication des modalités et des tarifs de prise en charge. Cet état de fait présente des effets pervers en termes de segmentation des parcours des usagers alors que, dans le même temps, nous sommes incités à développer des prestations modulables, flexibles, articulées et personnalisées. La situation financière des établissements peut en être sérieusement impactée.
À l’heure où s’impose le primat du parcours de l’usager, penser en termes de dispositif comme l’expérimentent les ITEP dans le champ médico-social, constitue aujourd’hui un chantier prioritaire.

1.4 Refonder l’action éducative en établissement résidentiel
Quand on constate les métamorphoses de notre environnement (désinstitutionalisation, crise du modèle démocratique, difficulté pour nos contemporains à se penser comme une communauté partageant une histoire, des valeurs, un même destin), au moment où on s’interroge sur les mutations et peut-être les métamorphoses qui affecteraient les sujets quant à leur rapport aux autres, au monde et à eux-mêmes, il n’est pas illégitime de réinterroger la pertinence de nos pratiques éducatives. D’autant plus que les modalités d’intervention des professionnels ont profondément évolué ; ainsi les exigences du droit du travail produisent une segmentation des temps de présence des professionnels et, de ce fait, une diversification et une multiplication des intervenants (éducateur mais aussi surveillant de nuit, maîtresse de maison…), alors que la continuité éducative s’organisait classiquement autour de la figure de l’éducateur assurant présence et accompagnement tant le jour que la nuit. Hier, l’organisation du travail mettait donc les professionnels dans une forme d’accompagnement qui se déployait dans un continuum temporel et permettait une stratégie éducative de type « vivre avec ». Aujourd’hui, la profession est passée à des interventions séquentielles où l’intervenant qui est au départ d’une action n’est pas toujours celui qui la terminera. Cette fragmentation du temps de travail et de l’intervention a notamment pour effet de modifier les représentations des professionnels, s’agissant de l’observation de la dynamique groupale. La capacité à se représenter la dynamique d’un groupe est certainement minorée parce que les tenants et aboutissants d’une situation de groupe ne peuvent plus être observés dans leur globalité ou du moins le sont plus difficilement par des professionnels inscrits dans la discontinuité (Touya et Oteiza, 2008).
Ces constats ne sont pas sans importance à un moment où se pose avec une acuité particulière dans nos établissements la question de l’articulation de l’individuel et du groupal. À l’heure du projet personnalisé, des entretiens individuels et du sur-mesure, quel sens peut prendre la dimension collective de l’accompagnement éducatif ? Comment tisser de l’individuel et du collectif, c’est-à-dire répondre aux besoins et attentes de la personne accueillie, tout en soutenant la question du vivre ensemble et du monde commun ? Comment faire que le groupe ne soit pas une caisse de résonance de tous les malaises individuels qui ont tendance à s’agglutiner, détournant chacun de ce qui est sa question propre ? Comment faire que le groupe soit un espace de socialisation et non pas une entreprise de conformité à un modèle imposé par les plus forts ou par l’air du temps ? Comment viser une transformation personnelle des jeunes accueillis tout en réintégrant la dimension groupale dans la boîte à outils éducative ?
Cette articulation de l’individuel et du collectif nous semble bien un chantier majeur car il a à voir avec le c½ur de métier de l’internat, c’est-à-dire l’action d’éduquer et de socialiser. Il s’agit de dégager des pistes, pour une part nouvelles , afin de garantir que le groupe demeure un espace de socialisation et d’humanisation.
La réflexion sur l’action éducative en établissement résidentiel devra également s’attacher à redonner sens à la banalité du quotidien, un quotidien qui constitue le cadre et la matière de la compétence éducative, l’originalité de la place de l’éducateur se jouant « dans le nouage si particulier qui fait de la vie quotidienne le lieu de sa pensée et de son action » (Costes, 2011). C’est ainsi qu’il faut remettre sur le métier la question du faire avec, des médiations éducatives, dont on redécouvre aujourd’hui l’intérêt.
En fait, l’éducateur se doit d’articuler en permanence plusieurs niveaux d’intervention qui interagissent constamment entre eux. Il faut accompagner le sujet dans son rapport à lui-même, à sa famille et à son environnement mais, en même temps, il faut animer et encadrer un collectif qui développe sa propre dynamique. Il s’agit de redéfinir les fondamentaux d’une clinique éducative qui est à la fois une clinique du sujet et une clinique du groupe.

1.5 Définir un positionnement institutionnel et qualifier les modalités d’aide et de soutien à la parentalité
Comme le note dans cet ouvrage Christophe Beau, les relations entre les familles et les professionnels sont caractérisées depuis plusieurs décennies par de nombreux changements produits par l’évolution du cadre juridique, des connaissances sur le champ de la parentalité, des attentes des pouvoirs publics, par l’avènement de nouvelles pratiques institutionnelles… Malgré ces évolutions, il constate que les familles doivent encore lutter pour conquérir leur place et assumer leurs responsabilités et leurs rôles éducatifs auprès de leurs enfants, face à des institutions souvent enclines à mettre en ½uvre à leur encontre d’efficaces processus de minorisation.
En fait, on ne solde pas rapidement le poids d’un héritage empreint de négativité dans la relation aux parents. Pour ce qui est des Mecs, on peut dire que les familles ont fait irruption dans un cadre institutionnel construit sur le déni de leurs compétences . Mais on se doit de reconnaître aussi que malgré ce passif, nombre de Mecs ont commencé à opérer un basculement tant dans leurs représentations que dans leurs pratiques, ce qui se traduit par une multiplicité d’initiatives en direction des parents.
Dans ce contexte, et face à un chantier qui génère des prises de position parfois passionnelles, il nous semble qu’il y a aujourd’hui deux axes principaux à investir pour ce qui concerne la réflexion et la mise en ½uvre :
• Les pratiques d’accompagnement des parents dans les Mecs sont multiples mais trop souvent ne correspondent ni à des objectifs clairement définis ni à des techniques d’intervention formalisées. Ces approximations peuvent être gravement pénalisantes pour les parents surtout lorsque l’on connaît leurs parcours de vie, leurs fragilités, leurs souffrances. Il importe donc de caractériser les modes d’intervention auprès des parents. Opte-t-on pour une démarche de guidance, de soutien, d’étayage des fonctions parentales ou, comme le font certains établissements, s’inscrit-on explicitement dans un projet de thérapie familiale ? De quels adossements théoriques disposent les professionnels ? Comment évalue-t-on les potentialités parentales ? Quel dispositif institutionnel met-on en place pour que les professionnels puissent mettre au travail collectivement leurs représentations des parents ? Quelle formation des professionnels est organisée pour ne pas leur faire jouer le rôle d’apprentis sorciers et, de ce fait, mettre en danger des parents vulnérables ?… Alors que l’on constate un certain foisonnement des initiatives dans le champ des maisons d’enfants, notamment dans la diversification des services en direction des parents, il semble donc nécessaire de progresser dans l’explicitation des offres de service proposées et dans leur caractérisation.
Ce diagnostic devrait s’intéresser aussi au niveau de formalisation de ces nouveaux services tant sur le plan méthodologique que technique et clinique. Il n’y a pas de créativité sans désordre mais à un moment où la question d’une identité commune des maisons d’enfants se pose, une certaine modélisation de ces nouveaux services serait certainement opportune. Elle permettrait notamment de se constituer un patrimoine communicable qui favoriserait la reproduction d’initiatives qui autrement demeurent isolées.
• Le second axe à privilégier concerne ce que Christophe Beau nomme un « possible paradoxe », c’est-à-dire assurer la protection de l’enfant et garantir aux parents une participation active en protection de l’enfance, paradoxe qu’il est nécessaire de penser, voire de dépasser. Il nous invite à approfondir et à finaliser un processus dans lequel un certain nombre de Mecs se sont déjà engagées : repenser la place du pouvoir, du savoir et de l’expérience au c½ur de la relation famille/professionnels. Si, nous dit-il, « la coéducation effective est un moteur essentiel à la réassurance, au développement des compétences, à l’enrichissement de l’expérience », elle implique à la fois du renoncement institutionnel et des convictions fortes pour réaffirmer qu’on n’éduque pas un enfant, contre ses parents, mais avec eux. L’enjeu qu’il énonce « partager ensemble, famille et professionnels, l’entreprise d’éducation pour permettre à l’enfant de s’inscrire dans une société solidaire et responsable » est bien au centre de ce chantier consacré aux familles.

1.6 Mieux soutenir à plusieurs la question du soin pour répondre aux besoins des jeunes accueillis
Les jeunes, dont il est question ici, ce sont ces adolescents en grande souffrance qui mettent à mal successivement nos établissements tant nos réponses semblent inadaptées. Les troubles psychopathologiques qu’ils présentent perturbent énormément les équipes habituées à s’engager dans des démarches d’acquisition, de conquête d’autonomie, d’intégration sociale selon une logique de projets individualisés. Ces pratiques traditionnelles se heurtent à des obstacles multiples : l’appel au respect des règles, des contrats, est sans effet. Les positions d’autorité sont mises à mal, les équipes sont confrontées à des sentiments d’impuissance qui peuvent générer des contre attitudes rejetantes : « Il n’est pas pour nous. »
Comme le note Philippe Gabbaï, le problème se situe notamment dans le peu de connaissances des particularités des fonctionnements mentaux de ces « nouveaux patients », sommés de s’aligner sur le fonctionnement normalement névrotique de tout un chacun. Sans un arrière-plan de connaissances psychopathologiques, il est impossible de saisir le sens, la fonction des symptômes présentés :
« Si l’on applique à ces troubles une lecture névrotique (“il fait ça pour embêter, il est dans la provocation, il veut attirer l’attention sur lui, il manipule !”), on est systématiquement à côté et les attitudes pédagogico-éducatives adoptées sont inadéquates, inefficaces et souvent aggravantes ! » (Gabbaï, 2012)
Il faut donc tenter de comprendre les fonctionnements mentaux spécifiques qu’utilisent ces sujets, car c’est de cette compréhension posée comme un préalable que peuvent se déduire les positionnements éducatifs, les démarches à entreprendre, les conduites à tenir. Les modes classiques d’intervention éducative s’avèrent inopérants face à des sujets « qui ont vitalement besoin de ce qui les menace le plus » (Heuzé, 2011). La démarche éducative et soignante classique qui propose de « l’autre », du lien, est à la fois pour ces jeunes problème et solution. Mettant en échec les réponses classiques des équipes, ils conduisent ces dernières dans l’impasse et provoquent des phénomènes de rejet et d’exclusion.
C’est à travers l’élaboration rendue possible par les espaces cliniques, grâce à un travail à plusieurs, c’est-à-dire en interdisciplinarité qu’une équipe parviendra patiemment à construire les justes positionnements par rapport aux comportements des sujets les plus troublés, à concevoir des possibilités de réglage assez fin, pour solliciter ces sujets, comme il convient, nous dit Serge Heuzé, surtout pas trop. C’est à partir d’une élaboration collective que peu à peu l’équipe apprendra à savoir s’y prendre avec ce type de problématique, à ajuster les réponses au cas par cas, à composer sans renoncer : élaboration collective à partir des observations, des hypothèses de compréhension des phénomènes, hypothèses théoriquement fondées mais toujours provisoires. Cette construction de modèles de compréhension de la situation du jeune qui met l’équipe en difficulté est une garantie pour la cohérence des actions. Elle initie une dynamique qui doit déboucher sur des propositions d’action, régulièrement évaluées et revues si nécessaire.
Mais ce travail à plusieurs ne peut se limiter aux acteurs de la Mecs. Dans l’accompagnement de ces enfants et adolescents, les interventions thérapeutiques, éducatives ou pédagogiques, surtout lorsqu’elles sont isolées ou juxtaposées, trouvent vite leurs limites. Ce travail doit avoir une dimension interinstitutionnelle. Il faut bien constater que par rapport aux jeunes les plus en difficulté les articulations du social avec le médico-social et le sanitaire peinent à s’instituer dans de nombreux départements. Dans le même temps, on peut repérer des expériences réussies et ces dernières devraient servir de matrice à une généralisation de pratiques de réseau, sans lesquelles des enfants et des adolescents resteront en souffrance. L’explicitation des conditions de réussite d’un travail interinstitutionnel est certainement un chantier majeur quand on sait que les dysfonctionnements entre institutions éducative, judiciaire, de soin, participent activement à la construction de l’incasabilité d’un certain nombre de jeunes.
Le rajeunissement et l’augmentation des problématiques adolescentes, assurément difficiles à qualifier cliniquement et posant des problèmes particulièrement complexes à soutenir tant dans l’accompagnement individuel que collectif, rendent donc d’autant plus nécessaire la prise en compte conjuguée, multidisciplinaire et interinstitutionnelle pour faire échec à des réponses successives et non-coordonnées.

1.7 Affronter la question de la violence qui est présente notamment dans les collectifs d’adolescents
Ce chantier ne peut être abordé positivement que s’il est traité dans le cadre d’une approche systémique. Il se doit, en effet, d’être pensé en articulation avec celui qui concerne l’accompagnement des jeunes situés aux frontières de l’éducatif, du judiciaire et du sanitaire mais aussi en lien avec le chantier traitant de l’articulation de l’individuel et du collectif. Toutefois, la prégnance de la question de la violence dans les institutions sociales, ses effets destructeurs sur les professionnels tant au niveau individuel que collectif, son impact très négatif sur l’accompagnement de l’ensemble des jeunes accueillis en font une thématique pleine et entière.
Pour traiter efficacement cette question de la violence, on gagnerait donc à développer une réflexion qui intègre une pluralité de paramètres : composition et périmètre des groupes, contexte architectural, qualité de l’accompagnement, engagement des cadres intermédiaires mais aussi marges de man½uvre dont ils disposent dans la constitution des groupes, renouvellement des propositions pédagogiques et éducatives, volonté du management de créer les conditions pour les équipes de penser et mettre en ½uvre une contenance institutionnelle…
Mutualiser les expériences réussies constitue également une piste à mettre en ½uvre.

1.8 Penser service tout en ne réduisant pas à une dimension de client la figure complexe du bénéficiaire
Mettre en ½uvre une logique de service dans les Mecs, c’est s’ouvrir la possibilité d’élaborer des projets d’établissement véritablement opérationnels, déclinant de véritables offres de service et des prestations évaluables. Il est vrai que s’inscrire dans ce type de démarche nécessite de se donner des garde-fous. Le danger serait de réduire à la seule dimension de client la figure complexe du bénéficiaire. Il est à la fois sujet de droit, usager, citoyen… L’enjeu ici est de mettre en ½uvre au quotidien une dialectique subtile qui consiste à assumer une position de prestataire de services sans jamais renoncer à ses fondamentaux éthiques, cliniques, techniques.

1.9 S’inscrire dans une démarche de reconnaissance de pratiques insuffisamment explicitées et valorisées
Nous avons précédemment insisté sur la nécessité de refonder la pratique éducative dans un contexte de bouleversement de tous les repères acquis.
Cela ne signifie pas que de « pratiques suffisamment bonnes » ne soient pas mises en ½uvre aujourd’hui dans les établissements, mais ce sont des pratiques qui demeurent enlisées dans la répétition du quotidien sans jamais ou presque accéder à la visibilité.
Il y a certainement une véritable opportunité pour développer une approche de l’évaluation comme moyen de progresser dans l’objectivation des pratiques existantes et des outils déjà disponibles. L’évaluation peut alors être pensée comme contribuant à la construction de l’identité des éducateurs intervenant en MECS, identité souvent peu définie et mal reconnue.
D’autres pistes sont à explorer tant les pratiques concrètes des éducateurs restent largement invisibles comme le constate François Hébert : « L’éducatif créatif reste invisible, noyé dans l’apparente banalité d’actes qui souvent ressemblent à ceux de tous les jours. » Il défend l’idée d’une cartographie des pistes concrètes potentielles, des « chemins de l’éducatif » car « il existe des façons d’être et de faire récurrentes mais qui ne sont presque jamais nommées explicitement… C’est pourquoi il est si important que nous trouvions notre vocabulaire pour nos outils, nos matériaux, nos gestes typiques. Faute de quoi, l’éducateur restera enfermé dans la cave du bricoleur amateur, sans assumer sa professionnalité particulière » (Hébert, 2012).
L’hypothèse qu’il défend, celle d’une mise en récit de « moments éducatifs » comme pierre de touche de l’analyse des pratiques, ouvre des perspectives fécondes comme celle d’une « pensée bricolante », d’une « théorisation douce » qui revisitent de l’intérieur le raisonnement de l’acteur sans écraser son récit sous des théories prédéterminées qui confisquent l’action des praticiens.

1.10 Penser l’articulation entre la formation des travailleurs sociaux et les besoins repérés dans l’accompagnement de jeunes en Mecs
Comme nous le notions précédemment, la dimension collective de l’accompagnement de jeunes en carence de repères nécessite des positionnements et des réponses éducatives spécifiques. Face aux manifestations comportementales des usagers (violences, dépressions, scarifications, fugues, etc.) amplifiées par le groupe, les professionnels sont souvent désarmés pour y apporter des réponses éducatives ou/et pédagogiques ajustées. Bien souvent de très jeunes professionnels (premier emploi dans le secteur social après obtention du diplôme) peuvent se sentir en échec dans la prise en charge éducative en internat, reconnaissant ne pas toujours être détenteurs des aptitudes et compétences nécessaires (gestion de groupe, gestion des émotions, formation à l’animation et à la médiation, etc.). Force est de constater qu’à une complexité avérée du quotidien peut s’opposer l’inadéquation des réponses des jeunes professionnels par manque d’assurance, de maturité professionnelle et par défaut de formation adéquate. Quant aux professionnels expérimentés, une formation continue répondant de manière plus ajustée aux questions et aux attentes générées par des pratiques éprouvantes à long terme constituerait un moyen efficace contre l’usure professionnelle.

1.11 Relever le défi de la participation des usagers
La participation des usagers est véritablement un nouvel organisateur des pratiques sociales et médico-sociales si l’on se réfère, par exemple, à la philosophie des recommandations de l’ANESM comme à ses préconisations. Pourtant, quand on analyse ce qui se passe sur le terrain, on est bien obligé de constater que ce nouveau paradigme n’a pas été véritablement intégré dans les pratiques. Ce double constat, à la fois de l’importance d’une notion et des incertitudes concernant sa mise en pratique, nous invite à l’analyse.
Restent dominantes dans le champ de la protection de l’enfance des représentations de l’usager à la fois comme sujet en souffrance dont il s’agit en priorité de prendre soin et comme acteur social fondamentalement déficitaire. Dans ce contexte, penser et mettre en ½uvre de manière institutionnelle une participation effective des usagers demeure un défi.
Il serait légitime de chercher alors un étayage du côté de l’association qui théoriquement est porteuse d’un projet d’émancipation sociale, en cohérence avec le potentiel démocratique dont elle dispose. C’est bien du côté éthico-politique que pourraient se situer des modes de subversion des logiques minorisantes qui nous menacent toujours dans notre action quotidienne. En fait, peu d’associations se sont saisies de la loi de janvier 2002 comme analyseur de leurs représentations des usagers et de leurs fonctionnements institutionnels.
Comment prendre la mesure de ces obstacles sans renoncer à s’inscrire dans une dynamique qui fasse de la participation des usagers aux processus démocratiques institutionnels, aux processus techniques les concernant et à la démarche d’évaluation, un nouvel organisateur du vivre ensemble ?
La priorité est certainement de mener, d’une part, une mise au travail des représentations de l’usager que ce soit dans l’espace politique de l’association ou dans l’espace technique des établissements ou services par le biais de la formation, de l’analyse des pratiques, de la délibération associant les différentes parties prenantes… ; il revient, d’autre part, à l’équipe de direction, en lien avec les professionnels, de définir le périmètre de la participation des usagers en fonction des spécificités de la population accueillie, de donner de la concrétude à la notion de participation en pensant et en mettant en ½uvre des dispositifs explicites d’association des usagers à la construction et à la réalisation des actions les concernant.
Prendre en compte les usagers comme parties prenantes, c’est aussi les associer à des espaces de délibération et de décision concernant la vie institutionnelle et son fonctionnement.
En conclusion, on ne peut pas se payer de mots quand il s’agit de la participation des usagers. En fonction de la vitalité du projet politique de l’association gestionnaire, en tenant compte des caractéristiques de la population accueillie, l’équipe de direction se doit de définir un plan d’action à visée double : double parce qu’il faut agir sur l’espace politique et sur l’espace technique et qu’il faut conjointement travailler à la fois sur les représentations et sur les dispositifs.

1.12 Reconnaître la place déterminante des équipes de direction
Le contexte appelle un juste positionnement des équipes de direction et notamment une claire définition du champ d’intervention des cadres intermédiaires, aujourd’hui souvent désorientés par des réorganisations leur conférant des responsabilités accrues et rendant insuffisamment lisibles la différenciation des places. De ce positionnement vont largement dépendre la qualité et l’effectivité de la contenance institutionnelle, la mise en mouvement d’équipes aux compétences reconnues et valorisées et leur investissement dans la construction d’outils en adéquation avec les cultures professionnelles et institutionnelles, l’intégration de l’évaluation dans les pratiques communes, une prise en compte des usagers alliant technicité et engagement, la promotion d’une culture de l’élaboration collective, la mise en ½uvre d’une véritable reliance entre les différents acteurs.

1.13 Participer à la définition d’un modèle de gouvernance et de management
Les défis précédemment identifiés et d’autres, car nous ne prétendons pas être exhaustifs, les Mecs les relèveront d’autant mieux que les équipes y répondront de manière appropriée, c’est-à-dire en soutenant prioritairement la question clinique et en résistant aux pressions d’un environnement qui risque d’imposer logique de conformité et emprise procédurale.
Les équipes des Mecs ne pourront s’engager dans une telle démarche que si conjointement se construit un modèle de gouvernance et de management à l’intérieur duquel c’est la clinique qui donne du sens aux pratiques dirigeantes et la gestion qui soutient la clinique.
Ce modèle construirait notamment son originalité sur sa capacité à intégrer dans son champ conceptuel une clinique de l’institution, c’est-à-dire à développer une certaine intelligence des processus psychiques groupaux et institutionnels à l’½uvre sur le terrain professionnel, à prendre en compte les effets d’une souffrance venue se déposer sur le cadre institutionnel, à ne pas oublier que l’institution a une histoire, des idéaux, a vécu des changements généalogiques, des traumas et que les traces de l’origine sont actives dans le présent de l’institution, à faire de la reconnaissance tant des usagers que des professionnels une orientation managériale prioritaire…
En conclusion, on peut affirmer que c’est parce qu’ils se seront engagés dans le traitement de ces différents chantiers que les représentants politiques et techniques des Mecs seront en situation de définir et de promouvoir des orientations politiques nationales collectivement débattues et ainsi devenir des interlocuteurs crédibles et légitimes des pouvoirs publics.
La priorité était de sortir d’une logique d’atomisation en se dotant d’une structure nationale permettant de réfléchir ensemble aux pratiques développées dans les Mecs, de capitaliser les savoirs et savoir-faire et ainsi de se constituer un patrimoine clinique et technique transmissible.
Aujourd’hui, face à l’hétérogénéité des politiques départementales de protection de l’enfance, à la confirmation de la pression budgétaire due notamment aux difficultés financières de nombreux conseils généraux mais aussi aux interrogations de ces décideurs sur la performance des accompagnements, il est urgent d’exister face aux pouvoirs publics par un clair positionnement politique et technique.
En soutenant une démarche de construction d’une identité commune, ouverte et plurielle, par la mise au travail collectif des chantiers majeurs auxquels ils sont confrontés, nos établissements pourront faire la démonstration de leur utilité sociale.


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Carte adhérents
Taux d'encadrement dans les MECS
Etudes sur les taux d'encadrement


L'organisation du travail éducatif et les taux d'encadrement dans les MECS
Enquête par questionnaire auprès de 225 MECS de France Métropole (décembre 2022)

Impact budgétaire des mesures prévues dans le projet de décret sur les taux d'encadrement dans les MECS et CDE
L'étude par consultation en ligne réalisée pour ANMECS / GEPSO / CNAPE (octobre 2023)


Personnels éducatifs face aux besoins des enfants confiés aux MECS
Compilation des données de 3 enquêtes réalisées pour l'ANMECS (novembre 2023)

Etude ASDO Accompagnement des jeunes de 16-21 ans par l'ASE
Accompagnement des jeunes de 16 à 21 ans
Consulter l'étude de l'ASE (mai 2020)

Enquête ASKORIA 2020
Enjeux et perspectives
Consulter l'enquête Askoria (2020)

Enquête Askoria
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